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l'existence determine la conscience

La Séparation des Religions et des Etats en Asie

14 Mai 2009 , Rédigé par hans Publié dans #Sur les religions

Un article de Sam Ayache extrait de la Raison, revue de la Fédération nationale de la Libre Pensée



Comment se pose la question de la séparation des religions et des Etats en Asie ?

Beaucoup de gens pensent que la tolérance religieuse est de mise en Extrême Orient à cause du poids du  bouddhisme qui serait une philosophie « zen »  - et  donc non violente – plutôt qu’une véritable religion. Ce serait « la religion la plus pacifique du monde, la plus respectueuse du vivant » pour reprendre l’expression d’une lectrice publiée dans le journal Télérama.

 

La religion la plus pacifique du monde, la plus respectueuse du vivant. Les petits bonzes orange aux bras nus offrent enfin une alternative à visage humain au froid silence du clergé d’Occident et aux fureurs islamistes. De quoi réconcilier les laïcs avec la religion.

M-C. Millet- Paris-  Publié dans  Télérama N° 3038

 

Ces clichés sont très éloignés de la réalité car ils ignorent les rivalités entre les différentes religions d’Asie et minimisent le poids social et politique des clergés. En effet, la philosophie zen est plutôt réservée aux salons des “bourgeois-bohêmes” des capitales occidentales. Dans un ouvrage récent, Bernard Faure rappelle très opportunément qu’en Asie les clergés bouddhistes ont bien souvent justifié la violence quand leurs intérêts politiques ou économiques étaient en cause. Au Sri Lanka par exemple, où il existe des minorités hindouistes et musulmanes, un texte historique, qui a pris au cours du temps une certaine valeur sacrée, fait état de croisades sanglantes auxquelles se sont livrées les armées des rois bouddhistes à l’encontre des Infidèles hindouistes et musulmans de l’île.

 

La tradition du moine soldat du monastère de Shaolin a depuis longtemps pris le pas sur la méditation transcendantale et les différents clergés interviennent de plus en plus ouvertement sur la scène politique partout en Asie. Et cependant dans quelques-uns de ces pays d’Asie, il existe une séparation institutionnelle des religions et de l’Etat. 

 

Comment la question se pose en République Populaire de Chine

 

Dans le pays le plus peuplé du monde, une  cinquantaine de nationalités différentes cohabitent plus ou moins pacifiquement. Toutes les grandes religions sont représentées en Chine, y compris le judaïsme qui est assimilé à l’islam par une bizarrerie administrative dont la Chine a le secret. L’article 36 de la Constitution de la République Populaire de Chine établit le principe formel de la liberté religieuse mais en fait il n’y a guère de séparation car l’Etat “protège les pratiques religieuses ordinaires” en exerçant un contrôle strict sur les clergés, comme en France du temps de Napoléon Bonaparte :

 

Article 36 : Les citoyens de la République populaire de Chine jouissent de la liberté de religion. Aucun organisme d'Etat ni aucun groupement social ni aucun individu ne peuvent forcer un citoyen à avoir ou à ne pas avoir de religion, ni faire de discrimination à l'égard d'un croyant ou d'un non-croyant. L'Etat protège les pratiques religieuses ordinaires. Aucun individu ne peut utiliser la religion aux fins de troubler l'ordre social, la santé des citoyens, nuire au système éducatif de l'Etat. Les groupements religieux et les affaires religieuses ne doivent subir aucune domination étrangère.

 

Ces dispositions ont pour conséquences qu’aujourdhui les plus de 20 millions de Chinois musulmans (Hui, Ouïghours et les autres minorités turcophones chinoises) disposent de 45 000 enseignants dans les écoles coraniques et de 35 000 mosquées entretenues et financées en grande partie  par l’Etat. Mais au lieu de favoriser un climat de confiance entre les citoyens Musulmans et le pouvoir politique, le contrôle de l’Etat sur l’Islam chinois est au contraire une source de méfiance entre la population et les autorités. 

 

De même, pour ne pas “subir de domination étrangère” le gouvernement chinois ne veut reconnaître qu’une église catholique “nationale”. D’un autre côté, dans le cadre de leur politique “d’ouverture” les autorités chinoises cherchent à se concilier les faveurs du Vatican. Le 9 mai 2008, l’Orchestre Philharmonique de Chine a donné un concert au Vatican en l’honneur du Pape Benoît XVI. Ce concert a servi de prétexte à une rencontre officielle entre le pape et l’ambassadeur de la RPC à Rome. N’est-ce pas un premier pas vers la reconnaissance officielle du Vatican ? Il serait pour le moins surprenant d’assister à un accord de type concordataire entre le Vatican et la République Populaire de Chine.

 

Autre conséquence de cette absence de séparation : les relations très conflictuelles entre l’Etat chinois et les monastères tibétains.

 

En mai 1951, après la prise du pouvoir par Mao, un accord en 17 points est conclu entre le Dalaï Lama du Tibet et le gouvernement chinois au terme duquel les monastères bouddhistes ont conservé leurs privilèges en échange d’une reconnaissance de la souveraineté chinoise. Le point 7 de cet accord stipulait clairement que les autorités chinoises n’effectueraient “aucun changement dans le revenu des monastères” ce qui signifiait qu’il n’y avait aucune modification du système féodal tibétain.  En application de cet accord, le Dalaï-Lama est devenu un dignitaire du régime, accédant à un poste officiel dans les institutions de la République Populaire de Chine.  

 

Cependant en 1959, quand les paysans tibétains réduits au servage ont remis en cause la propriété féodale, l’accord en 17 points a été dénoncé par le Dalaï-Lama au nom de la défense des privilèges des monastères. Battu militairement malgré le soutien de la CIA, le Dalaï-Lama a trouvé refuge en Inde. Cependant, malgré la défaite de leur suzerain, les monastères du Tibet ont continué jusqu’à présent à percevoir des dons importants des fidèles ainsi que des subventions de l’Etat chinois pour l’entretien des lieux de culte.

 

On voit qu’en Chine les problèmes sont loin d’être réglés car il manque une réelle séparation entre les religions et l’Etat. Et l’apaisement des conflits entre les citoyens chinois de confession différente ne passe certainement pas par le renforcement du contrôle “bonapartiste” des religions par l’Etat.  

  

La Constitution de la République de Corée

 

Pendant la colonisation japonaise (1905-1945), les clergés coréens ont majoritairement collaboré avec l’Armée Impériale japonaise – comme la hiérarchie catholique a majoritairement soutenu le régime de Vichy en France. Le peuple coréen a été assujetti, des milliers de jeunes Coréennes ont été réduites au rang d’esclaves sexuelles au service des soldats de l’Armée Impériale. A la Libération, la Constitution de la République de Corée (ratifiée en 1948) a inscrit deux articles relatifs à la liberté de conscience et à la séparation des religions et de l’Etat, qui semblent faire la synthèse entre la loi française de 1905 et le Premier Amendement de la Constitution américaine :

 

Article 19 : Tous les citoyens jouissent de la liberté de conscience.

Article 20 : Tous les citoyens jouissent de la liberté de religion. Aucune religion d’Etat ne doit être reconnue et l’Eglise et l’Etat seront séparés.  

S’ils n’interdisent pas le versement de subventions publiques aux associations religieuses ou pour l’entretien des lieux de cultes et des écoles religieuses, ces articles sont cependant très importants dans un pays où il n’y a pas de religion véritablement dominante. Il y a une situation d’équilibre, les bouddhistes étant à peine plus nombreux que les chrétiens, essentiellement des protestants évangélistes - dont la célèbre secte Moon - avec une petite minorité de catholiques. Il existe également en Corée une religion chamaniste traditionnelle ainsi que plusieurs milliers de musulmans d’origine coréenne (en plus des populations immigrées). Une université islamique s’ouvrira d’ailleurs l’an prochain à Séoul. 

La laïcité institutionnelle – même incomplète – fait qu’il règne dans le pays un fort sentiment de liberté de conscience. Selon un sondage, 52 % des Coréens se déclareraient “libres penseurs” Cependant, certains faits récents méritent d’être relatés.

Pendant la crise économique de 1998, des milliers de moines de l’ordre bouddhiste Jogye se sont battus les uns contre les autres à coup de poing, à coup de pierre et avec des barres de fer. Ces combats fratricides, qui ont duré des semaines, avaient pour enjeu le contrôle des finances de l’ordre le plus riche de Corée, avec un budget annuel de 9,2 milliards de dollars, d’immenses propriétés foncières de plusieurs millions de dollars, et l’emploi de 1 700 moines salariés. Les émeutes ont causé la ruine d’un certain nombre de monastères et fait des dizaines de blessés. Les Coréens ont montré un profond dédain pour ces moines qui, selon un témoin, “utilisaient les dons des fidèles pour se payer des résidences luxueuses et des grosses cylindrées”.  

Plus récemment, en août 2008, au cours d’une crise politique majeure qui a conduit le gouvernement à démissionner, le président sud-coréen Lee Myung-bak a tenté d’utiliser les rivalités entre les religions afin de créer la diversion et faire retomber la pression de la foule.

Le président Lee Myung-bak – un protestant évangéliste pratiquant - voulait imposer la ratification d’un traité de libre-échange avec les USA autorisant les importations de viande bovine sans contrôle sanitaire sérieux. Pendant plusieurs semaines, des centaines de milliers de Coréens sont descendus dans les rues pour exiger le retrait de cet accord de libre échange. Au plus fort de l’agitation sociale, une fraction minoritaire de l’église catholique, “les Catholiques pour la Justice” - d’ailleurs aussitôt dénoncés par la hiérarchie catholique – a pris fait et cause pour les manifestants, ce qui a amené les différents ordres bouddhistes à se positionner à leur tour contre la politique du président. Cet enchaînement de prises de position des autorités religieuses a indisposé bon nombre de citoyens : “On va manifester contre le gouvernement, on ne va pas à la messe” a déclaré l’un d’eux dans un blog largement repris par la presse. Comme il fallait s’y attendre, dès le lendemain, les “Catholiques pour la Justice” ont apporté leur soutien à une prétendue initiative d’apaisement du gouvernement qui en a profité pour passer à l’offensive contre les ordres bouddhistes. Tout en lançant des mandats d’arrêt contre les militants syndicaux ayant pris part aux manifestations anti-gouvermentales, le chef de la police – un évangéliste proche du président Lee – a fait placarder une affiche provocatrice invitant la police à faire du prosélytisme en faveur du christianisme.

Pour ne pas perdre la face, tous les ordres bouddhistes ont dû riposter : dans un cortège impressionnant de discipline et parfaitement encadré, plus de 200 000 moines et nonnes bouddhistes ont envahi les rues de Séoul pour exiger du gouvernement le respect de la constitution et la démission du chef de la police. Dans le même temps, plusieurs militants recherchés par la police ont trouvé refuge dans le temple de Jogye, qui leur sert désormais de prison dorée. Le Président Lee et le chef de la police ont dû présenter leurs excuses publiques aux ordres bouddhistes et surtout réaffirmer la validité des articles de la Constitution relatifs à la neutralité des autorités publiques en matière de religion.

Et pour finir, l’accord de libre échange USA – Corée n’a pas été ratifié et les contrôles sanitaires sur la viande bovine importée des USA ont été sérieusement renforcés.

La séparation dans la Constitution japonaise

Au Japon, les dignitaires du bouddhisme zen et du shintoïsme d’Etat ont soutenu la politique d’agression du Japon Impérial, au nom de l’idéal spirituel et chevaleresque du samouraï et du caractère divin de la personne de l’Empereur. Comme la hiérarchie catholique en Europe, il s’est trouvé des prêtres japonais pour appuyer de leur bénédiction l’Armée Impériale qui a envoyé à la mort des dizaines de milliers de jeunes Japonais. Le clergé officiel a glorifié le sacrifice des soldats, exalté la mort au combat et en fin de compte justifié  les crimes de guerre.

Le Japon est sorti anéanti de la Seconde Guerre Mondiale, après le bombardement atomique d’Hiroshima puis celui de Nagazaki. Pour en finir avec la barbarie et les horreurs de la guerre, le Japon s’est doté d’une nouvelle constitution en novembre 1946.

En affirmant la souveraineté du peuple, le Japon est passé de la monarchie de droit divin à la monarchie constitutionnelle. Le caractère sacré de la personne de l’Empereur a été aboli :

Article 1 : L'Empereur est le symbole de l'État et de l'unité du peuple ; il doit ses fonctions à la volonté du peuple, en qui réside le pouvoir souverain.

L’Armée Impériale et la Marine Impériale ont été dissoutes et le recours à la guerre interdit pour toujours :
Article 9 : Aspirant sincèrement à une paix internationale fondée sur la justice et l'ordre, le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ainsi qu'à la menace ou à l'usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux. Pour atteindre le but fixé au paragraphe précédent, il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre. Le droit de belligérance de l'État ne sera pas reconnu.  

Les articles 19 et 20 concernent la liberté de conscience et la séparation des religions et de l’Etat.  

Article 19 : La liberté d'opinion et de conscience ne peut être enfreinte.

Article 20 : La liberté de religion est garantie à tous. Aucune organisation religieuse ne peut recevoir de privilèges quelconques de l'État, pas plus qu'elle ne peut exercer une autorité politique. Nul ne peut être contraint de prendre part à un acte, service, rite ou cérémonial religieux. L'État et ses organes s'abstiendront de l'enseignement religieux ou de toutes autres activités religieuses.

On voit que certaines clauses de ces articles vont au-delà des dispositions de la loi française de 1905 puisqu’ils interdisent à l’Etat de subventionner toute forme d’enseignement religieux et qu’ils dispensent expressément les citoyens de l’obligation de participer à une cérémonie religieuse. En France, les lois anti-laïques et le Concordat d’Alsace-Moselle permettent de subventionner l’enseignement religieux et les militaires français peuvent être contraints de participer à des cérémonies officielles à caractère religieux, qui sont de plus en plus nombreuses. 

Pour autant et comme c’est le cas aussi en France, les articles de la constitution sont aujourd’hui gravement remis en cause. L’article 9 est ouvertement violé depuis que le Japon a autorisé ses Forces d’Auto Défense (il n’y a plus d’armée au Japon) à participer à l’intervention militaire en Irak et en Afghanistan aux côtés des armées US. Par ailleurs, et en contradiction avec cet article 9, la mémoire des criminels de guerre est honorée chaque année à l’ossuaire de Yasukuni au cours d’une cérémonie religieuse à laquelle assistent officiellement des ministres en exercice. 

 

La Séparation est indispensable pour garantir l’absolue liberté de conscience

 

Chine, Corée, Japon : comme on peut le constater avec ces trois exemples, la question de la séparation des religions et des Etats se pose dans les mêmes termes sous toutes les latitudes et dans tous les pays.  Il s’agit de garantir la liberté de conscience de chaque citoyen, de séparer nettement la sphère publique (l’action des pouvoirs publics au service de tous les citoyens) de la sphère privée (la diversité des opinions et des croyances).

 

 Partout dans le monde. 

 

 

 

Sam AYACHE

Bouddhisme et violence, Bernard Faure, éditions Le Cavalier Bleu, Paris Septembre 2008.

La suzeraineté chinoise a été mise en place au 13ème siècle par l’empereur de Chine Koubilai Khan quand il a établi la suprématie du premier Grand Lama sur tous les autres Lamas à la manière d’un Pape à l’égard des évêques. Quelques temps après, l’empereur de Chine est venu avec son armée soutenir le troisième Grand Lama et lui attribuer le titre de Premier Dalaï (Océan) Lama, annulant les titres des deux Lamas précédents. Ce Premier (ou Troisième) Dalaï Lama s’est emparé par la force des monastères qui n’appartenaient pas à son ordre, détruisant et pillant sans vergogne les documents contredisant le caractère sacré de sa personne. Son successeur s’est comporté de la même manière, menant une vie de débauche entouré d’un harem de nonnes. Lui- même et  cinq de ses successeurs ont été assassinés par des courtisans lors de révolutions de palais.

 

Nous parlons de l’attitude générale de la hiérarchie ecclésiastique et non des catholiques – voire des prêtres – qui à titre individuel ont participé à la Résistance. Il y a également eu des Bouddhistes qui ont résisté à l’occupation japonaise en Corée.

On peut s’interroger sur la façon dont les choses se sont déroulées : pourquoi la police, qui surveillait depuis plusieurs jours les abords du temple de Jogye, a-t-elle laissé les militants pénétrer dans le temple sans les interpeller alors que des mandats d’arrêt avaient été lancés à leur encontre ?    

Quant à la sérénité des principes zen, il convient de rappeler ce qui s’est déroulé il y a quelques années à Zenkoji, au Japon, dans un complexe de temples prestigieux qui abritent plusieurs sectes bouddhistes depuis plus de 1 400 ans.  Une “sinistre bataille” juridique a opposé Komatsu, le chef d’un clan de moines bouddhistes, à un autre clan du nom de Tacchu, pour le contrôle d’une partie du complexe, Tacchu accusant Komatsu de malversations financières. La querelle s’est terminée par un procès retentissant qui a duré plus de cinq ans, offrant au public japonais effaré le spectacle de la cupidité la plus féroce de l’histoire judiciaire du pays.

Le Parti Communiste Japonais avait pour sa part déposé en 1946 le  projet de constitution de la République du Peuple Japonais.

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